Quand la danse s’ouvre au monde
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Trois semaines, du 24 novembre au 10 décembre, pour découvrir 27 compagnies de danse et partager autant d’expériences. Le Festival de danse Cannes – Côte d’Azur, placé sous la direction artistique de Didier Deschamps, s’ouvre au monde pour en explorer la richesse, et favorise le croisement entre les disciplines.
Un rendez-vous pour se charger “d’émotions qui se vivent à la fois dans sa propre solitude d’individu mais aussi en partage avec les gens qui vous entourent“. Didier Deschamps, qui succède à Brigitte Lefèvre à la tête de l’événement après avoir assuré la direction de Chaillot – Théâtre national de la Danse jusqu’en 2021, évoque pour nous sa vision du Festival de danse Cannes – Côte d’Azur et plus largement celle de la danse, porteuse de nombreux messages qui prennent toute leur dimension dans le contexte sociétal actuel.
QUELQUES CHIFFRES…
– Rencontres des 5 écoles supérieures nationales de danse, en préouverture, du 20 au 26 novembre
– 27 compagnies originaires de 13 pays
– 3 premières mondiales
– 3 premières françaises
– 12 créations 2023
– 32 représentations dont 3 séances scolaires
– 11 lieux : Anthéa, Antibes / Auditorium des Arlucs, Cannes / Forum Jacques Prévert, Carros / Le Forum Estérel Côte d’Azur, Fréjus / Palais des Festivals, Cannes / Scène 55, Mougins / Théâtre de Grasse / Théâtres en Dracénie, Draguignan / Théâtre La Licorne, Cannes / Théâtre Palais Stéphanie, Cannes / Théâtre National de Nice
– 1 feuilleton chorégraphique, avec le solo de Etay Axelroad, dansé dans les différents halls des théâtres
– 1 table ronde autour de l’insertion et la formation des jeunes danseuses et danseurs
– 4 projections de films
– 5 master classes dont 1 Gaga classe
– 2 spectacles itinérants dans les établissements scolaires cannois
– 1 nouveauté : MOV’IN Cannes, une compétition internationale de films de danse
“Quels critères ont motivé vos choix pour construire cette programmation ?
Il existe un ensemble de paramètres très objectifs à prendre en compte (taille de la salle, actualité des artistes…) et il y a l’intuition que je n’ai jamais trop analysée mais qui garantit quelque chose de l’ordre de l’émotion et de la surprise. Pour moi, il est important aussi d’assurer une sorte d’équilibre entre différentes formes de spectacles parce que la danse est riche de démarches, de styles, de tonalités, extrêmement variés. Seront présentées aussi bien des formes héritées de l’académisme, comme le néo-classique de Thierry Malandain, que des formes extrêmement nouvelles avec Sharon Eyal et Gai Behar (Into the Hairy), le collectif espagnol Kor’sia ou encore Amala Dianor. Se côtoient aussi des pièces de référence et des créations.
Plusieurs créations verront donc le jour en co-production avec le festival ?
Amala Dianor, avec sa création DUB, s’inspire des formes qui sont aujourd’hui à peine émergentes dans les lieux underground de la musique et de la danse à travers le monde. Il les a visités et a récolté un matériel qui lui sert de base pour sa création. De son côté, Thierry Malandain à la tête du Ballet Biarritz propose Les saisons, un ballet qui trouve sa source d’inspiration dans des formes plus académiques, avec des musiques de Vivaldi et Antonio Guido.
La création mondiale confirme bien la stature internationale du festival ?
Il me semble très important de faire venir des compagnies de l’autre bout du monde alors que nous sommes dans un moment d’actualité assez dramatique où l’on voit tellement de frontières se refermer, tant sur le plan géopolitique que sur le plan intellectuel, moral, alors que l’on cherche à dresser des murs entre les personnes. C’est pourquoi il est extrêmement important d’inviter les gens à découvrir ce qui se passe à l’autre bout du monde pour le considérer comme une richesse et non pas comme un danger. Je suis heureux que le public de la Côte d’Azur ait accès à des formes magnifiques comme celles de Cloud Gate Dance Theatre of Taiwan. De même, certaines rencontres sont marquantes telle la soirée qui présente la compagnie américaine Trisha Brown, avec deux de ses œuvres majeures, et une création du chorégraphe français Noé Soulier.
LE CIRQUE ENTRE DANS LA DANSE
“La danse est un lieu de croisement des arts” où l’on rencontre de plus en plus souvent le cirque. Plusieurs spectacles explorent cette union. Les Hongrois de la Cie Recirquel présentent Solus Amor qui évolue au sol et dans les airs pour un envol amoureux, véritable invitation au rêve : “Un spectacle de toute beauté“, estime Didier Deschamps. Atypique, la Cie Lézards Bleus dévoilera sa création pour le festival sur la façade du Cineum, à Cannes, dans le cadre de l’événement MOV’IN Cannes. “Antoine Le Menestrel s’est inspiré d’un film dont on célèbre cette année le centenaire. Il s’agit d’un film d’Harold Lloyd qui s’appelle Safety Last. Il se passe sur la façade d’un gratte-ciel et égrène un certain nombre de situations au fur et à mesure de l’ascension du personnage. Ceci donne lieu à des situations extrêmement cocasses.“
Le flamenco semble tenir une place particulière dans cette programmation ?
Le flamenco est l’une de mes passions. C’est un art qui réunit à la fois le chant, la danse, la musique sur le plateau. C’est une forme qui est née en Inde, qui est passée par les Balkans avant de venir s’installer en Andalousie. Cette danse porte une histoire multiséculaire. Elle est riche d’une tradition absolument incroyable, mais en même temps, aujourd’hui, elle est source de création. Le festival accueille deux compagnies, Cia David Coria et Cie Paula Comitre, qui sont justement héritières de la tradition mais en même temps d’une inventivité incroyable.
La visibilité des jeunes danseurs vous semble également importante ?
Je voulais que la jeunesse soit très présente et très visible dans ce festival. Pour cela, j’ai demandé à l’école de danse Rosella Hightower (Pôle National Supérieur de Danse de Cannes) de travailler avec cinq autres pôles nationaux. Ils seront réunis pendant toute la semaine qui précède le festival pour échanger, travailler ensemble, réfléchir et partager leur répertoire. Le premier jour du festival, ils seront tous réunis, soit 70 élèves, pour une performance mise en œuvre par Annabelle Bonnéry, directrice de la Cie Carte Blanche, compagnie nationale de danse contemporaine de Norvège.
SENSIBILISER LE FUTUR PUBLIC
En 2017, la ville de Cannes obtenait le statut unique en France de Ville expérimentale et pionnière 100% EAC (Éducation Artistique et Culturelle). Ce projet s’est désormais largement répandu permettant à toute une jeunesse d’être sensibilisée à des pratiques artistiques, de développer sa culture personnelle et même de rencontrer des artistes. Le Festival de danse Cannes-Côte d’Azur trouve pleinement sa place dans ce programme durablement installé. Les élèves cannois vont donc eux-aussi vivre au rythme du festival, certains danseurs reprenant le chemin de l’école avec deux spectacles itinérants. Dans les écoles primaires, Marion Levy partira sur les traces du Petit Poucet pour lancer une invitation : Et si tu danses. Pour les plus grands, le chorégraphe Amala Dianor proposera un questionnement sur l’individu et sur son rapport aux autres à travers le solo Wo-Man qui sera suivi d’une discussion libre afin d’échanger pour comprendre et exprimer son ressenti. Par ailleurs, une centaine d’élèves du collège Les Vallergues sont engagés dans un projet pédagogique autour de la pièce Volutes de la Cie Mouvimento. Enfin, plusieurs spectacles sont programmés sur le temps scolaire afin de permettre aux enseignants d’accompagner des classes à la découverte de la danse contemporaine.
Par ailleurs, pourquoi ouvrir le festival au cinéma ?
Cannes est la ville du cinéma. Et depuis le début du cinéma, il a toujours été dans une forme de dialogue avec la danse. Encore aujourd’hui, et même de plus en plus, l’image est souvent présente sur le plateau. C’est un média qui intéresse énormément les chorégraphes. On le verra dans plusieurs des pièces présentées, comme celle de Michèle Noiret qui sera présentée à Grasse. Cela nous a donné envie de proposer au public une manifestation qui soit directement une interface entre la danse et la vidéo. Avec le chorégraphe Eric Oberdorff, nous avons créé l’événement MOV’IN Cannes, dont la première édition se tiendra le 30 novembre. Il s’agit d’un concours de courts-métrages qui vise à montrer toute la richesse des démarches qui associent la danse et le cinéma. Le jury sera présidé par Mathilda May.
Au-delà du festival, quel regard portez-vous sur l’évolution de la danse contemporaine ?
Beaucoup de nouvelles formes sont en train d’apparaître. Auparavant, il y avait une forte opposition entre ce que l’on appelait la danse classique et la danse contemporaine. Il s’agissait d’être d’un côté ou de l’autre. Aujourd’hui les jeunes artistes n’ont plus rien à faire de ces antagonismes. Ils se saisissent de ce qui les intéresse pour créer, que cela soit inspiré par des formes académiques ou par des démarches qu’ils inventent eux-mêmes. Cela donne des formes très différentes avec un phénomène de pluridisciplinarité qui parfois m’inquiète un peu. Sur scène ils s’approprient des démarches qui viennent du théâtre, du cirque, des arts visuels. Cela génère des formes nouvelles qui rendent compte de la vie d’aujourd’hui. Ma seule petite inquiétude tient au fait qu’à force de convoquer des disciplines différentes sur le plateau, je ne voudrais pas que la danse s’appauvrisse au profit d’autres formes. Mais je fais tout à fait confiance à un certain nombre de chorégraphes pour faire en sorte que la danse résiste et au contraire s’enrichisse.”
Tous les artistes invités n’ont pu être cités ici. Aussi, pour aider à faire ses choix, suffit-il de se laisser guider par son intuition afin de se laisser surprendre !
VIVRE ET COMPRENDRE LA DANSE
Pour Didier Deschamps, “un festival est un moment de fête et de rassemblement y compris autour de sujets sérieux. Lorsqu’un spectacle est présenté, il peut évoquer des choses qui ne sont pas toujours drôles ; mais ce doit toujours être un moment d’émotions intenses. La danse porte aussi une réflexion, une histoire, des interrogations. Elle porte des expériences à vivre et à partager comme la Gaga classe (ndlr: master classe tout public, dirigée par Etay Axelroad, d’après le concept de danse Gaga, langage du mouvement développé par le chorégraphe Ohad Naharin) dont la technique est accessible à tous : que l’on pratique la danse ou que l’on ne la pratique pas, tout le monde peut y avoir accès et en trouver une grande joie, un grand bénéfice. A partir et autour de la danse, nous avons besoin de sentir que nous faisons société autour de valeurs communes ce qui n’interdit pas la controverse, mais la saine controverse, celle qui va permettre d’échanger des idées dans le respect d’autrui.” La sensibilisation à l’univers de la danse commence par briser les frontières en multipliant les possibilités de rendre le public acteur et plus seulement spectateur. Ainsi, outre la Gaga classe et les ateliers et master classes qui mettront les corps en mouvement, l’esprit sera également sollicité. Les bords de plateau constitueront aussi des moments privilégiés pour dialoguer avec les artistes tandis que les tables rondes ouvriront de nouvelles perspectives sur l’univers chorégraphique. Parmi ces rencontres, le colloque portant sur le thème Rencontrer une œuvre de danse accueillera notamment Eva Felix, danseuse et chorégraphe, dont on peut également retrouver les écrits dans les pages de La Strada. Elle y défendra son approche personnelle de la création en la considérant “en tant qu’entité vivante à part entière évoluant en autonomie pour questionner ce qui se cristallise dans le processus de création. La création en danse a souvent été abordée du prisme des créateurs, des spectateurs et des institutions mais rarement (voire jamais) abordée du point de vue de la création elle-même.”
24 nov au 10 déc. Programme complet sur festivaldedanse-cannes.com
photo: Cie Recirquel Solus Amor © Bálint Hirling